Quand la diète ne suffit plus
« Bambine, on me passait des commentaires sur mes joues bien rondes. Enfant, mes camarades de classe passaient des commentaires sur mes tâches de naissance. À la puberté, ma famille me répétait que j’avais de grosses cuisses. Elles étaient trop grosses parce qu’on ne pouvait pas en faire le tour avec les mains. Fière de moi, je réfutais toujours ces commentaires en répondant que c’est mon corps et que ce qui compte, c’est que je sois bien avec celui-ci. À 14 ans, ma famille m’a fait la remarque que je n’avais pas des jambes comme les autres filles de mon âge. Cette fois-là, j’en avais assez de ces commentaires, alors j’ai dit : “je préfère avoir de grosses cuisses plutôt que d’être anorexique.”
L’ironie de tout ça, c’est que je suis tombée dans l’anorexie à 15 ans. Avec la puberté, j’étais, certes, un peu plus ronde que les autres. Mon médecin m’a dit qu’il est préférable que je perde du poids. J’ai suivi ses consignes. Oui j’en ai perdu, mais beaucoup trop. J’en ai perdu plus que nécessaire, parce que j’aimais ça. J’aimais recevoir, pour une fois, des commentaires positifs sur mon corps. Pour une fois. J’ai perdu le tiers de mon poids. Mon médecin était inquiet pour moi et m’a fait voir des spécialistes en médecine de l’adolescence. J’ai été diagnostiquée d’anorexie mentale à 16 ans.
Je n’ai pas perdu que du poids. À force d’éviter des repas avec des amis parce que je ne voulais pas qu’on observe mon corps, je me suis distanciée d’eux. J’ai perdu des liens avec plusieurs êtres chers. J’ai perdu ma confiance en moi. L’anorexie me disait que ma compétence dans la vie n’était liée qu’au chiffre sur la balance qui chutait et chutait. Je perdais petit à petit mon corps et ma tête. L’anorexie était sur le point de m’enlever la vie. Aujourd’hui, je suis guérie à 80%, grâce au temps que j’ai pris pour moi, à l’hôpital et chez moi. Le 20% qui reste, je le travaille en ce moment, au programme de jour du PITCA (Programme d’intervention des troubles de la conduite alimentaire du CHUL), à Québec. »
L'anorexie mentale
L’anorexie mentale est un trouble alimentaire, et mental. Cette maladie est caractérisée par une peur intense de prendre du poids, ce qui amène à une restriction alimentaire extrême. Il en existe deux types selon le DSM-5 : l’anorexie mentale restrictive (absence de vomissements, ou de prise de purgatifs réguliers), ou l’anorexie mentale purgative (présence régulière de vomissements ainsi qu’une prise de purgatifs).
L’anorexie mentale est comorbide avec plusieurs autres troubles, dont les troubles anxieux et le trouble obsessif-compulsif, ainsi qu’avec la boulimie. Plusieurs personnes ayant vécu un épisode d’anorexie, ont tendance à avoir un épisode de boulimie plus tard.
Causes
Les troubles alimentaires ont souvent une multitude de causes. L’anorexie est donc causée par des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. La vulnérabilité génétique est importante dans l’anorexie. Par contre, les régimes amènent souvent à des troubles alimentaires : ils perturbent les processus neurobiologiques sous-tendant à une sous-alimentation. La plupart des personnes anorexiques sont également des personnes perfectionnistes : elles veulent absolument avoir le corps parfait. Cette vision du corps idéal est d’ailleurs influencée par les médias mettant en scène des corps « photoshoppés » en faisant croire aux jeunes que c’est l’image de la réalité.
Ces exemples de cause mentionnées jouent un rôle important dans le développement de ce trouble. Cependant, certains facteurs déclenchent la maladie, comme les séparations ou pertes d’êtres proches, mais aussi les échecs (ayant un grand impact sur les perfectionnistes adeptes du succès). En bref, des évènements amenant la perception de non-contrôle, amènent ces personnes à retrouver un certain contrôle sur eux-mêmes à travers l’alimentation.
Prévalence
Traitements
Les thérapies des troubles alimentaires sont souvent longues. L’anorexie est une dépendance, ce qui fait que cela prend du temps pour s’en défaire. Plusieurs professionnels de la santé insistaient autrefois sur l’alimentation du patient pour éviter les dangers de santé. Cependant, le Dr Wilkins amène une nouvelle méthode en ne forçant pas ses patients à manger, mais en s’attardant beaucoup plus sur les problèmes psychologiques ayant amené au développement de l’anorexie. Il y a donc amélioration constante des thérapies concernant ce problème plus récurrent chez les filles adolescentes.
Il faut comprendre que ces comportements alimentaires inquiétants sont la pointe de l’iceberg de ce trouble, qu’est l’anorexie. En dessous de l’océan se cache une grande souffrance psychologique.
Par conséquent, il ne faut pas prendre à la légère ce genre de problèmes. Il est important d’offrir un grand soutien aux proches souffrant de cette maladie, ainsi que de rapidement consulter un psychologue, un psychiatre ou tout autre professionnel de la santé si on soupçonne qu’on souffre d’un trouble d’anorexie mentale.
La renutrition
De toute évidence, l'anorexie peut causer des ravages pour le corps. Il est donc impératif de reconstruire la santé du patient malnutri de façon sécuritaire. Oui, il faut parler de sécurité ; en effet, manger normalement à la suite d’une longue période de malnutrition peut être dangereux pour la personne en rémission. C'est ce qu'on appelle le syndrome de renutrition inapproprié (SRI).
Lorsque le corps manque de nutriments pendant une longue période de temps, les reins produisent des molécules qu'on appelle cétone à partir des acides gras. Les cétones et les acides gras remplacent le glucose comme source d'énergie principale dans le corps. Lors de la renutrition, cette source d'énergie principale doit faire la transition entre les cétones pour redevenir le glucose. Le pancréas produit alors de l'insuline qui permet aux cellules de mieux absorber certains nutriments, tels que le glucose, le potassium, l'eau, le sodium, le phosphate et le magnésium. Cela permet la synthèse des protéines, qui ont besoin de beaucoup plus d'énergie pour se faire suite à une période de jeun prolongée. En conséquence, les cellules ayant absorbé trop de ces nutriments, il n'y en a plus assez dans le sang, ce qui peut causer des battements de cœurs irréguliers, des arrêts respiratoires, des dommages cérébraux, un coma et une perte de contrôle des fonctions corporelles.
N.B. : Pour vérifier que vous n'êtes pas à risque pour le SRI, consultez un médecin.
Si le patient n'est pas à risque pour le SRI, et qu'il consomme déjà au moins 1000 calories par jour, un plan de renutrition lui sera présenté. Il n'est pas rare chez les patients en rémission de devoir consommer entre 3500 et 5000 calories par jour. C'est beaucoup, et difficile à atteindre. C'est pour cette raison que de l'assistance est souvent indispensable pour réussir à absorber cette quantité calorique. Une quantité aussi élevée de calories est nécessaire, car au cours de la rémission, le métabolisme devient très élevé alors qu'il essaie de reconstruire les tissus détruits lors de la période de malnutrition. Il arrive même que l'énergie soit transformée en chaleur plutôt que d'être utilisée pour reconstruire les tissus, ce qui résulte en une augmentation de la température corporelle. Cela rend la tâche d'autant plus difficile.
Voici un exemple de plan de renutrition, tel que proposé par Katie Grubiak, dans un article qu'elle a rédigé pour VeryWellMind :
Jour 1-4: 1,200-1,600 calories/jour
Jour 5-7: Si aucune prise de poids n'a été observée, augmenter de 400 calories par jour à 1,600-2,000 calories/jour (Si une prise de poids a été notée, l'apport calorique peut être augmenté graduellement.)
Jour 10-14: Si la prise de poids n'atteint toujours pas 1 ou 2 livres par semaine, augmenter l'apport quotidien de 400-500 calories/jour à 2,000-2,500
Jour 15-21: 2,500-3,000 calories/jour
Jour 20-28: 3,000-3,500 calories/jour
Les avancées scientifiques
L’anorexie est la maladie mentale ayant le taux de mortalité le plus élevé [1]. La consommation calorique insuffisante associée à cette maladie peut causer un large éventail de risques biologiques, incluant une perte osseuse, une déshydratation, une aménorrhée et une hypotension artérielle. En temps normal, le cerveau assure un apport calorique suffisant qui permet d’éviter ces troubles, mais les altérations de la fonction cérébrale causées par l’anorexie viennent modifier l’évaluation de suffisance alimentaire.
Tout commence avec les circuits fonctionnels dans le cerveau. Une analyse statistique basée sur des signaux d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) a révélé que les synapses entre neurones sont radicalement différentes chez les patients souffrant d’anorexie par rapport à un groupe témoin. L’étude s’est concentrée sur les connexions impliquant le striatum ventral, qui est associé aux décisions motrices, et l’hypothalamus, une région fondamentale pour le maintien de l’homéostasie, incluant des signaux reliés à l’appétit et la satiété.
Altérations des connexions structurelles dans les patients anorexiques (AN) par rapport à un groupe témoin (CW) [2]. L : hémisphère gauche, R : hémisphère droit, ACC: cortex cingulaire antérieur, VS : striatum ventral, OFC : cortex orbitofrontal.
Dans le groupe témoin, l’hypothalamus envoie une densité de synapses importante au striatum ventral. Cela suggère que l’hypothalamus envoie des signaux reliés à des conditions biologiques, incluant l’appétit et la satiété, ce qui régule les décisions motrices orchestrées par le striatum ventral. Toutefois, dans les patients atteints d’anorexie, les connexions entre le striatum ventral et l’hypothalamus sont inversées. De plus, le striatum reçoit des synapses provenant du cortex cingulaire antérieur (CCA), responsable de la modulation émotionnelle du comportement [2].
Ces résultats amènent une interprétation des altérations fonctionnelles causées par l’anorexie. Plutôt que de se fier aux signaux biologiques envoyés par l’hypothalamus, le striatum ventral accorde davantage d’importance à des signaux de nature émotionnelle, probablement basés sur une peur irrationnelle de prendre du poids qui caractérise si souvent les patients anorexiques. Par la suite, le striatum ventral vient supprimer les signaux d’appétit provenant de l’hypothalamus. Résultat : un cercle vicieux où les patients continuent de supprimer leur consommation de nourriture, inconscients de l’ampleur des dégâts biologiques.
Une prédiction de cette interprétation est que les signaux endocriniens observés chez les patients anorexiques communiquent un appétit biologique, mais ils ne parviennent pas à susciter une réponse approprié dans les centres de contrôle du cerveau. C’est précisément ce qui a été observé. Dans l’hypothalamus, la consommation de nourriture est régulée par deux protéines antagonistes : la ghréline, associée à la faim, et la leptine, associée à la satiété. Or, les patients anorexiques ont des niveaux élevés de ghréline et des niveaux faibles de leptine, et ce, malgré une consommation nettement insuffisante [3].
Cette perturbation endocrinienne n’est pas sans conséquences. L’insuffisance en leptine cause une perturbation des fonctions reproductives, ce qui explique l’aménorrhée souvent observée chez les patients anorexiques. L’excès de ghréline a pour effet d’augmenter les niveaux de cortisol dans le sang, en plus de réduire la densité minérale osseuse, ce qui accroît les risques de fracture et d’ostéoporose [3].
La reprise de l’alimentation est une étape importante dans le traitement contre l’anorexie. Toutefois, lors de la rémission, les patients peuvent être exposés à une complication importante : le syndrome de renutrition inappropriée. Alors que le corps recommence à reconstruire des tissus et à encourager la croissance, des minéraux comme le potassium et le magnésium sont massivement acheminés dans le sang jusqu’à ces nouveaux tissus. Toutefois, cela peut provoquer une carence en minéraux dans le sang, ce qui augmente le risque d’insuffisance cardiaque ou respiratoire. Heureusement, des résultats scientifiques récents ont indiqué qu’un nouveau type de diète avec plus de calories permettrait de réduire la durée des séjours à l’hôpital [4].
Néanmoins, la reprise de l’alimentation exige de trouver un équilibre, pour obtenir une rémission rapide tout en évitant de nouvelles complications.
À suivre…
Bibliographie
[1] Arcelus, J., Mitchell, A. J., Wales, J., et Nielsen, S. (2011). Mortality rates in patients with anorexia nervosa and other eating disorders: a meta-analysis of 36 studies. Archives of General Psychiatry, 68(7), 724-731. doi: 10.1001/archgenpsychiatry.2011.74
[2] Frank, G. K. W., Shott, M. E., Riederer, J., et Pryor, T. L. (2016). Altered structural and effective connectivity in anorexia and bulimia nervosa in circuits that regulate energy and reward homeostasis. Translational Psychiatry, 6, e932. doi: 10.1038/tp.2016.199
[3] Schorr, M., et Miller, K. K. (2017). The endocrine manifestations of anorexia nervosa: mechanisms and management. Nature Reviews Endocrinology, 13, 174-186. doi: 10.1038/nrendo.2016.175
[4] Garber, A. K., Mauldin, K., Michihata, N., Buckelew, S. M., Shafer, M. A. , et Moscicki, A. B. (2013). Higher calorie diets increase rate of weight gain and shorten hospital stay in hospitalized adolescents with anorexia nervosa. Journal of Adolescent Health, 53(5), 579-84. doi: 10.1016/j.jadohealth.2013.07.014
Autres
Critères diagnostiques de l’anorexie mentale. (s. d.).
Consulté à l’adresse https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/Gscdepot/edu1031/61/edu1031_61_a02.pdf
Viger, V. avec l’anorexie | R., Prostitution, R. de S. L. sociale et communautaire, Drogue, alcool, Rue, G. D., gambling, & Said, O. 5 A. 2014 at 22:00. (2014, juillet 16). L’anorexie, Docteur Wilkins et les troubles de l’alimentation.
Consulté 2 mars 2018, à l’adresse https://raymondviger.wordpress.com/2014/07/16/anorexie-docteur-wilkins-ste-justine-troubles-alimentation-anorexique/
Qu’est-ce que l’anorexie? - Définition, critères diagnostiques. (s. d.).
Consulté 2 mars 2018, à l’adresse http://www.psychomedia.qc.ca/diagnostics/qu-est-ce-que-l-anorexie