Au sujet de l’ECT : Est-on bien au courant ?
Première partie d’une discussion bien “chargée” avec la docteure Marilyne Landry, psychiatre spécialisée en électroconvulsivothérapie. Neuropresse diffusera la deuxième partie de cette longue entrevue dans son édition du 5 mai. Bonne lecture !
Claire Danes jouant une patiente consentante avant son traitement d'ECT, dans la série Homeland. L'ECT frappe l'imaginaire, mais demeure méconnu du public.
AC : Bonjour Dre Landry, merci beaucoup d’avoir accepté de répondre à mes questions sur l’ECT. ML : Merci Agnès de m’avoir invitée à répondre à ces questions. Je trouve ça très important qu’on puisse discuter de ce traitement-là, l’électroconvulsivothérapie, ou de l’ECT pour employer son acronyme. C’est en fait un traitement essentiel en psychiatrie. C’est aussi un traitement multidisciplinaire qui implique plusieurs professionnels. Je te remercie donc de l’invitation.
AC : Comment peut-on définir l’ECT, en fin de compte ?
ML : L’électroconvulsivothérapie, ou l’ECT, est une thérapie de neurostimulation qui consiste à utiliser un bref courant électrique pour générer une convulsion cérébrale. Cela permet de traiter surtout la dépression majeure, mais on va l’utiliser aussi pour traiter d’autres pathologies psychiatriques comme la psychose, la maladie bipolaire, les épisodes de manie, etc. En Amérique du Nord, par contre, on l’utilise surtout pour la dépression majeure.
AC : Comment avez-vous été amenée à vous intéresser à cette thérapie ?
ML : Ça fait déjà quelques années que je m’intéresse à ce traitement-là. En fait, cela remonte à mes années d’externat, donc pendant le doctorat. Alors que j’effectuais ma ronde en psychiatrie au pavillon Albert-Prévost, plus précisément en gérontopsychiatrie, j’ai eu sous mes soins une dame âgée d’environ 70 ans qui souffrait de dépression catatonique. Il s’agit d’un type de dépression très sévère. La dame ne parlait plus, ne mangeait plus. Elle avait déjà été soumise à l’ECT environ 30 ans plus tôt. Sa famille s’est empressée de demander qu’on lui prescrive ce traitement, et la patiente y a consenti. J’ai donc eu l’occasion de voir une amélioration fulgurante obtenue avec cette thérapie. Deux semaines plus tard, la dame recevait son congé de l’hôpital. C’est là que j’ai vraiment eu la piqûre par rapport à ce traitement, et j’ai commencé dès ce moment à m’y intéresser davantage.
AC : Pouvez-vous nous faire un bref historique de l’ECT, d’hier à aujourd’hui ?
ML : Cela fait déjà plus de 80 ans qu’on connaît l’ECT. En fait, cette thérapie a été mise au point par deux neuropsychiatres italiens, Ugo Cerletti et Lucio Bini, en 1938. Mais ça faisait déjà depuis très longtemps qu’on s’intéressait à la thérapie « convulsive ». Il faut savoir qu’il y a eu une époque où il n’existait aucun traitement psychiatrique. Les antipsychotiques n’ont été inventés que dans les années 1950, et les premiers antidépresseurs que durant les années 1960. On connaissait l’existence du lithium depuis longtemps, mais ce n’est qu’au cours des années 1950 qu’on a commencé à traiter les maladies bipolaires avec le psychotrope issu de ce métal. Donc, je le répète, à l’époque où l’on a découvert l’électroconvulsivothérapie, il n’y avait aucun traitement psychiatrique. On comprend alors pourquoi tant de personnes atteintes de maladie mentale ont été internées, malheureusement, dans ce qu’on appelait des asiles. Elles pouvaient y rester pendant de nombreuses années. À cette époque-là, l’asile St-Jean-de-Dieu, qu’on appelle aujourd’hui l’Institut Universitaire en Santé Mentale, ou encore l’hôpital Louis-H. Lafontaine, pouvait compter jusqu’à 6 000 lits. Maintenant qu’on a beaucoup d’outils dans l’arsenal thérapeutique en psychiatrie, l’hôpital compte moins de 400 lits.
Il n’y a pas si longtemps, donc, on n’avait aucune thérapie efficace. Je disais plus tôt qu’on a commencé à s’intéresser à la thérapie convulsive il y a très longtemps. À une époque plus récente, on a expérimenté l’utilisation de l’insuline, par exemple. En induisant un choc insulinique chez des patients, ceux-ci se mettaient à convulser. On a aussi utilisé le camphre et d’autres médicaments du même genre pour provoquer des convulsions, mais la méthode n’était pas fiable. Il arrivait d’obtenir aucune convulsion, ou encore des convulsions à retardement ou de trop longues durées ; les effets secondaires étaient alors vraiment importants. On avait une vague idée que la convulsion pouvait aider les personnes souffrant de psychose. On voyait bien, en effet, que certaines de ces personnes, atteintes à la fois de psychose et d’épilepsie, pouvaient soudainement se porter mieux après avoir convulsé. Puis, des chercheurs se sont intéressés à certaines cellules bien précises du cerveau, et ils ont observé que les personnes atteintes de schizophrénie avaient davantage de cellules gliales que d’autres, dont les épileptiques. À un moment donné, on s’est même demandé si cette maladie qu’est l’épilepsie n’était pas l’antipode de la psychose, de là l’intérêt renouvelé pour la thérapie convulsive.
Dans les années 1930, Cerletti et Bini ont commencé à utiliser l’électricité pour provoquer les convulsions. Les deux neuropsychiatres ont alors constaté que la convulsion survenait spontanément après le choc. Donc, la technique était plus fiable et plus prévisible. Par contre, elle était aussi à l’époque dangereuse. Bien sûr, on a d’abord fait des essais sur des animaux, notamment sur des chiens. On plaçait une électrode dans la région de la bouche de l’animal et une autre dans la région de l’anus. Il s’ensuivait que le courant électrique traversait le cœur et qu’il pouvait ainsi provoquer des arythmies, puis des asystolies, ce qui causait le décès du chien. La technique a été rapidement améliorée après qu’on eut observé dans un abattoir que des porcs avaient convulsé après avoir reçu un court choc électrique au niveau du crâne. Des améliorations ont aussi été apportées aux tests effectués en induisant un choc électrique au crâne. Puis, on a rapidement constaté que la technique était sécuritaire et que les animaux sur lesquels on effectuait les tests ne mouraient pas.
Le premier test effectué avec un humain remonte à 1938. L’homme était atteint de schizophrénie catatonique et cela faisait quelques années qu’il était itinérant. Il était très désorganisé et son discours était incohérent. Puis, il été soumis à 11 ou 12 séances d’ECT, après quoi il a reçu son congé de l’hôpital. Dans l’année qui a suivi sa thérapie, l’homme a pu retourner sur le marché du travail. Le traitement s’est donc avéré très efficace rapidement, compte tenu du fait qu’il n’existait alors aucune autre option thérapeutique. En l’espace de deux ans seulement, la thérapie électroconvulsive s’est répandue partout dans le monde.
AC : Aujourd’hui, comment le traitement est-il perçu et utilisé, ici comme ailleurs ?
ML : En Amérique du Nord, on l’utilise surtout pour la dépression majeure sévère, laquelle résiste aux traitements conventionnels. Mais on va faire plusieurs essais thérapeutiques avant d’aller vers l’ECT. Souvent, à cause de la stigmatisation de cette thérapie, on l’utilise en dernier recours alors que beaucoup de personnes pourraient en bénéficier plus tôt dans leur traitement. L’ECT est malheureusement encore très mal perçue dans la population en général. Il ne faut donc pas s’étonner si on l’utilise en dernier recours.
Si l’ECT est surtout utilisée en Amérique du Nord pour traiter la dépression majeure, en Afrique et en Asie on l’utilise davantage pour le traitement de la schizophrénie.
AC : Comment se déroule le traitement et comment ça fonctionne en fait ?
ML : Ce sont deux questions très intéressantes. Voyons d’abord « comment ça fonctionne ». Il persiste une petite polémique pour expliquer précisément le mécanisme de l’ECT. Il existe plusieurs théories, la principale étant celle de la théorie anticonvulsive. Après le choc électrique et la convulsion, il s’opère, selon cette théorie, un remaniement des récepteurs GABA (de l’anglais Gamma-Aminobutyric Acid), lesquels jouent sur l’inhibition des neurones. On constate ça dans l’augmentation graduelle du seuil convulsif des patients qui reçoivent le traitement. Voilà pour le mécanisme principal de l’efficacité de l’ECT. Il existe d’autres mécanismes : par exemple, après les séances, il se produit une libération massive des neurotransmetteurs dont font partie la dopamine et la sérotonine. Ces deux dernières molécules sont à la base du mécanisme d’efficacité des antidépresseurs, mais le processus de relâchement est plus rapide avec l’ECT. On observe aussi une diminution de l’inflammation, une diminution des cytokines inflammatoires comme l'interleukine 6, une augmentation du facteur neurotrophique dérivé du cerveau, communément appelé le BDNF pour Brain Derived Neurotrophic Factor, lequel facteur va à son tour augmenter la neurogénèse de certains neurones dans le cerveau. Ce qu’on peut retenir de tout cela, c’est que de multiples mécanismes interviennent de concert pour entraîner une amélioration clinique des patients.
Nous venons de voir brièvement comment fonctionne l’ECT. Passons maintenant à ton autre question, Agnès, à savoir comment ça se passe la journée d’une séance. On aura d’abord évalué la condition du patient ; est-il apte à recevoir le traitement ? Y a-t-il des contre-indications ? etc. Il aura été vu par des spécialistes en anesthésie et en médecine interne, et au besoin par d’autres spécialistes. On veut s’assurer que le traitement est sécuritaire pour lui. Le patient doit être à jeun depuis au moins huit heures : aucune nourriture, pas d’eau ni aucun autre liquide. La médication doit être adéquate pour obtenir le traitement le plus optimal possible. Le matin-même du traitement, il y a une brève évaluation par le psychiatre. On veut s’assurer que la personne n’est pas confuse et qu’elle consent toujours à recevoir le traitement.
Puis, on passe à la séance même de l’ECT. On commence par installer différentes électrodes pour surveiller, à l’aide de moniteurs, le rythme cardiaque du patient, sa tension artérielle, ainsi que la réponse de la convulsion au niveau des neurones cérébraux. On installe ensuite l’appareil ECT, et on met le patient sous oxygène. On lui administre alors un anesthésiant pour l’endormir, et un relaxant musculaire pour faire en sorte que ses muscles ne se contractent pas et que la convulsion ne touche que les neurones. Le relaxant musculaire sert à diminuer les douleurs et les myalgies qui sont secondaires à la convulsion. Le choc électrique en tant que tel dure entre une et six secondes, donc c’est très bref. Quant à la convulsion, elle va durer de 20 à 60 secondes. Elle peut parfois durer un peu plus longtemps, mais c’est très rare qu’elle dépasse deux minute. (NDRL : lorsqu’elle se prolonge au-delà de trois minutes, on fait cesser la convulsion avec un médicament nommé Propofol.)
Neuropresse va diffuser dimanche prochain, le 5 mai 2019, la deuxième partie de l’entretien entre Agnès Martinova Croteau et la psychiatre Marilyne Landry. Il sera question entre autres des contre-indications, de l’efficacité de l’ECT, des risques, des bienfaits, etc. Ne manquez pas de consulter Neuropresse.com !